La loi des avantages comparatifs dans les jeux vidéo

de | 29 juin 2017

J’aimerais vous parler ici d’une composante fondamentale du jeu vidéo qui, je pensais était acquis de tous. En discutant avec des joueurs que je coach sur Overwatch, j’ai constaté qu’ils commettaient une erreur assez importante qui expliquait leur façon de jouer et surtout le peu de résultat qu’ils obtenaient. Concrètement, cette erreur les poussait à se fixer sur les performances de leurs équipiers, ils voyaient leurs fautes et seulement leurs fautes. Quand leurs équipiers faisaient une bonne action, des commentaires du type « ça aussi, je sais le faire » ou « c’est pas trop tôt! » sortaient de leur bouche. Quand leurs équipiers faisaient de mauvaises actions par contre, j’entendais plutôt des commentaires du type « il faut vraiment que je fasse tout moi-même! » ou encore « mais il ne sait pas soigner lui! ». Dans ce cas-là, le joueur en question a un très mauvais réflexe, c’est celui de changer par exemple tout le temps de rôle dans un jeu d’équipe où les rôles doivent être complémentaires. Parce qu’il a manqué de soin à un moment donné de la partie, il va se mettre à jouer le rôle du soigneur. Parce que son équipe n’infligeait pas suffisamment de dégâts selon lui, il se mettait à jouer un rôle offensif, laissant donc un vide dans le rôle de soigneur par exemple. Bref, cette façon de jouer n’a qu’une seule conséquence : plomber l’équipe, le taux de défaite va donc augmenter, le niveau de frustration explosera et, malheureusement, la situation ne changera pas, car le problème vient de ce joueur en question et non pas des autres membres de l’équipe.

Ici, je vous parlerai d’une loi issue de l’économie, mais que beaucoup de joueurs de jeux vidéo ont découvert bien avant grâce aux jeux vidéo. Cette loi vous permettra de comprendre exactement pourquoi il est nettement plus intéressant de se concentrer sur son rôle plutôt que d’aller chercher la petite bête chez vos équipiers. Les ramifications de cette loi sont presque infinies et j’exposerai celles qui sont les plus intéressantes pour nous, joueurs de jeux vidéo. En prenant en compte cette loi, cela vous permettra d’adopter les bons réflexes quand votre équipe est mise à mal. Parce que, vous savez que vous avez tout intérêt à suivre cette loi, vos retours et commentaires seront nettement plus constructifs. Cela vous permettra aussi de savoir ce qui ne va pas dans une équipe qui n’est pas efficace et vous serez surpris de constater que c’est souvent à cause du non-respect de cette loi que votre équipe est moins performante. Aussi, si vous jouez avec un groupe soudé, vous comprendrez pourquoi la spécialisation des membres viendra améliorer les performances de votre équipe et vous réaliserez à quel point laisser les membres de votre équipe faire leurs erreurs est capital plutôt que de jouer au flic et leur tomber dessus à la moindre erreur.

La loi des avantages comparatifs, David Ricardo

Le concept dont je veux vous parler ici nous vient en fait d’une loi, la loi des avantages comparatifs. Nous la devons à un économiste David Ricardo qui a exposé cette loi dans son ouvrage Des principes de l’économie politique et de l’impôt, en 1817. Cette loi répondait à la question suivante : « est-il préférable que l’économie d’un pays soit entièrement autosuffisante et que ce pays produise tout lui-même ou, au contraire, que ce pays se spécialise dans certains domaines et développe des échanges commerciaux? ». Cet ouvrage prenait pour exemple le Portugal et l’Angleterre et l’auteur montrait qu’ils avaient tout intérêt à se spécialiser et à faire du commerce ensemble. Pour reformuler cette loi, il est préférable de miser sur ses points forts plutôt que de vouloir corriger ses points faibles. Il s’avère aussi que cette loi s’applique tout autant aux individus qu’aux nations. Pour rester sur le thème de l’économie, on peut reformuler cette loi par : les entreprises fonctionnent mieux si les employés se concentrent sur ce qu’ils savent faire de mieux et collaborent avec d’autres spécialistes pour le reste. Cela explique notamment pourquoi les entreprises font appellent à des fournisseurs, des sous-traitants plutôt que de tout faire elle-même.

D’un point de vue plus humain, cette loi donnerait : un groupe est nettement plus efficace quand les membres ont des talents différents plutôt que d’avoir un groupe constitué du même archétype. Une grande diversité de savoirs, spécialités, formations est un atout majeur pourvu qu’on laisse tout le monde s’exprimer. Bien sûr, il est tout à fait possible d’élargir son éventail de compétences et d’être plus flexible, mais ne compter que sur soi (comme le joueur que je décrivais au départ) est une très mauvaise stratégie. Apprendre par soi-même est très profitable, mais tout faire soi-même est extrêmement néfaste. Travailler avec les autres peut vous aider à en faire plus, plus vite et améliorer la qualité du résultat (encore une fois, si vous laissez tout le monde s’exprimer). Le principal avantage quand vous apprenez par vous-même à faire un peu de tout est de pouvoir juger du travail des autres et de leur donner des conseils le cas échéant, mais dans ce cas, vous n’avez pas besoin d’apprendre plus que les bases.

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Les ramifications de cette loi pour les joueurs de jeux vidéo

Pour certains d’entre vous, cette loi coule de source, mais pour d’autres (adepte du « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ») elle est complètement contre-intuitive. Dans un jeu purement coopératif, vous êtes forcé de collaborer et ce comportement que je décris est minoritaire. Mais dans un monde ouvert où vous êtes libre de tout, je constate très souvent que les joueurs préfèrent tuer les gens qui passent plutôt que de collaborer. Vous seriez surpris de constater que dans le monde professionnel, beaucoup d’entrepreneurs ont des difficultés à déléguer les tâches. Parce qu’ils ont commencé à tout faire eux-mêmes, ils ont beaucoup de mal à arrêter de contrôler les choses.  C’est la même chose dans les jeux vidéo, quand un joueur de jeux vidéo solo se lance dans le coopératif, c’est la catastrophe, il doit tout contrôler en permanence.

Voilà une liste non exhaustive des ramifications de la loi des avantages comparatifs, du plus évident au moins évident. Certains des points vous sembleront tellement évidents qu’ils ne devraient pas être dans la liste, je suis d’accord avec vous, mais systématiquement je constate une énorme différence entre ce que les gens savent et ce que les gens font. Alors ces points seront des piqûres de rappel.

  1. Un groupe composé de membres hétérogènes est plus efficace car paré à toutes les situations.
  2. Lors d’un projet (y compris dans les jeux vidéo) partager les tâches selon les talents de chacun des membres. Si un membre a trop de travail (à cause d’un de ses talents), déléguer une partie de son travail.
  3. Lorsque vous jouez en groupe, une action groupée vaut mieux que de se forcer à essayer de créer la différence tout seul. Autrement dit jouer vraiment à plusieurs et pas ensemble chacun de votre côté. Souvent je constate une action en solitaire qui se solde par un échec, votre groupe est donc handicapé pour la prochaine altercation.
  4. Quand un de vos équipiers fait une faute, au lieu de lui dire qu’il a fait une erreur, demandez-lui plutôt ce qui s’est passé et s’il lui manquait une information pour prendre le bon choix, faire la bonne action. Les remarques visant à lui dire qu’il est mauvais ne sont pas productives, il vaut mieux donc chercher à lui permettre de mieux faire son travail plutôt que de lui faire une remarque inutile.
  5. Quand un de vos équipiers fait une mauvaise partie, au lieu de lui dire de changer de rôle et de lui prendre le sien, (encore une fois) demandez-lui ce qui s’est passé et aidez-le en conséquence. Et par pitié, quand il vous a exposé son problème répondez autre chose que « ah ben ça il faut que tu apprennes à le gérer », c’est la réponse que je constate le plus souvent.
  6. Si vous constatez un manque dans votre équipe (un manque de soin, de coordination, de puissance de feu, de productivité), au lieu de vous en prendre aux personnes dont c’est le rôle, demandez leur (encore une fois) ce qui s’est passé. En vous en prenant directement à eux, vous remettez en cause leur habileté à assumer leur rôle avant même d’essayer de comprendre la situation.
  7. Enfin, un dernier constat que je fais systématiquement dans la majorité des équipes, vous devez écouter tout le monde, surtout s’il parle de leur propre spécialisation. Tout le monde est légitime. Ce que je constate dans les groupes qui fonctionnement (mal), c’est qu’une personne (généralement le leader) donne son point de vue qui est considéré comme la vérité et les autres essayent tant bien que mal de se « défendre ». Tout le monde a le droit à la parole et tout le monde a le droit d’être écouté et a le devoir d’écouter les autres. Si vous pensez qu’une personne est en tort, expliquez-lui sur la base de faits et pas sur la base de votre vision des choses. Lorsque ça va mal, la recherche de la cause d’un problème revient très souvent à la recherche du coupable, sortez de ce schéma binaire qui n’est pas constructif.

Défi

A vous de jouer, ce défi est assez complexe. En effet, notre instinct primaire est de se défendre quand on est sous pression ou quand on se sent menacé. En prenant en compte la loi des avantages comparatifs, les membres du groupe ne sont plus vus comme des boucs émissaires potentiels, mais bien des partenaires avec lesquels il faut travailler. Et pour travailler efficacement, il faut respecter ses partenaires, les voir dans leur globalité et le gain qu’ils apportent au groupe. Voilà votre défi, la prochaine fois que vous perdez dans un jeu coopératif, au lieu de trouver un coupable ou d’essayer de trouver un coupable, identifier plutôt clairement la situation qui vous pose problème et décider ensemble de la solution à essayer.

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