Pourquoi un très bon joueur est souvent plus dangereux à vos côtés que dans l’équipe d’en face

de | 14 septembre 2017

Vous avez tous connu un prof qui était hyper calé dans son domaine, mais aussi incapable de vous expliquer quoi que ce soit. C’est encore plus le cas dans les jeux vidéo. Je vais vous raconter l’histoire d’un joueur que je coachais, qui a décidé d’aller voir un autre coach pour voir ce qui se faisait. Ce nouveau coach était bien mieux classé que moi. Il s’attendait à progresser encore plus vite, mais il a commis une erreur qui a mis le coach hors de lui, réduisant l’intérêt de la séance à néant. Le pire dans tout cela, c’est qu’il n’a même pas compris ce qu’il avait fait de mal. Dans ces moments, le réflexe de chacun est de prouver à l’autre qu’il a raison même s’ils ne savent même pas pourquoi ils se disputent. Cela crée beaucoup de frustration et d’incompréhension. Vous l’aurez vite compris, il a perdu sa soirée, le coach aussi, et je doute sincèrement qu’ils aient envie de retenter l’expérience. Clairement, cela a continué à pourrir sa soirée jusqu’à l’empêcher de dormir.

Ici, le coach a commis une faute qui l’a fait enrager tout de suite. Cette erreur touche beaucoup plus souvent les bons joueurs et plus ils sont bons, plus les effets sont dévastateurs. J’irai même plus loin, elle ne se trouve pas que dans les jeux vidéo, mais dans tous les domaines où il existe des experts (on peut dire alors presque tous les domaines). Le pire dans tout cela? Pratiquement personne ne connaît ce réflexe de notre cerveau qui nous pousse à nous énerver pour les raisons les plus stupides. En prenant conscience de ce mécanisme, vous pourrez apprendre à le gérer, à éviter les pièges. Vous ferez partie des gens qui peuvent transmettre leur savoir plutôt que de vous impatienter comme les mauvais profs le font quand il n’arrive pas à vous expliquer quelque chose (en vous l’expliquant 7 fois exactement de la même manière). Votre capacité à transmettre votre savoir sera décuplée. Vous toucherez nettement plus vos équipiers à travers vos explications et surtout vous éviterez les situations inutiles où un camp veut avoir raison sur l’autre.

Revenons sur ce coach fou et pourquoi il est devenu fou

Ici, le problème qu’a rencontré l’ancien joueur que je coachais, s’appelle la malédiction du savoir. Pour faire simple, une fois que vous connaissez quelque chose, une fois que vous l’avez assimilée, vous ne pouvez tout simplement plus vous mettre à la place de quelqu’un qui ne sait pas ce que vous venez d’apprendre. Cette malédiction complique énormément les choses quand vous voulez transmettre votre savoir. En effet, vous ne pouvez plus vous souvenir de ce qui vous bloquait, de ce que vous aviez du mal à concevoir. Le savoir une fois acquit, vous paraît évident, logique, voire il coule de source. Toutefois, ce n’est que le premier effet de la malédiction du savoir. Le second effet secondaire est tout simplement votre impatience quand une personne parlera de quelque chose que vous connaissez bien en faisant une erreur. A ce moment-là, vous sentirez une envie irrépressible de le corriger sur-le-champ. Et si jamais il ose (cet avorton!) vous contredire, cela vous fera enrager si vous n’y prenez pas garde.

Et c’est exactement ce qui s’est passé avec ce nouveau coach. Mon ancien élève « a osé » lui demander des explications, car il ne comprenait pas quelque chose et qu’il avait une méthode différente (celle que je lui avais enseignée). Avant même de comprendre le principe de sa méthode, le coach est devenu fou et a dit quelque chose comme :

« Mais attend mon gars, moi j’étais joueur semi-pro, je sais de quoi je parle. Ton ancien coach, si t’es venu me voir, c’est qu’il était nul alors ferme là un peu et écoute. Pour s’améliorer, il ne faut pas y aller avec le dos de la cuillère, alors si t’es pas content, tu dégages ».

A 17€ l’heure, vous pouvez imaginer que le joueur était assez remonté. Et surtout il ne pouvait plus en placer une à partir de là. Pour enfoncer le clou, le nouveau coach a commencé à lui faire comprendre qu’exceptionnellement il devra payer en avance « pour montrer qu’il est prêt à s’améliorer et accepter la critique » (ce qui est quand même assez ironique). Bien sûr, le joueur a refusé et il pensait s’en tirer là et pouvoir partir. Sauf que le coach a encore décidé de lui expliquer sa vision des choses pendant les 50 minutes restantes de sa session tout en le rabaissant, et il l’a même fait gratuitement (mais quelle bonté!).

Mais pourquoi est-il devenu fou?

Nous avons appris plus tard que l’équipe Starcraft II qu’il coachait, a perdu dans un tournois en ligne très rapidement alors qu’ils étaient les favoris. Leur joueur phare était trop malade et il n’a pas pu jouer à son maximum. Il était donc très affecté par cet événement et n’a pas su le gérer.

Pendant la session de coaching, il a donc perdu ses moyens, car il n’a pas su gérer la malédiction de la connaissance. Je veux que cela soit clair, peu importe qui vous êtes, plus vous êtes expert d’un domaine et plus cette malédiction a des effets sur vous. Moi-même, je raccourcis mes séances de coaching avec des débutants principalement à cause de cet effet. Parce que le réflexe de s’emporter est exactement cela, un réflexe, il est donc impossible de ne pas craquer sans se forcer à garder son calme, à rester patient.

Et comment ne pas le devenir

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Jeu vidéo : World of Warcraft, Legion. Si seulement il suffisait de remplir une barre d’expérience pour être un meilleur joueur…

Toutefois, il existe une méthode que j’ai développée pour ne pas être victime de cette malédiction. Elle consiste à volontairement se mettre au niveau de la personne que vous coachez.

Mais attend, je pensais que c’était impossible?

En effet, c’est ce que j’ai dit. Vous n’allez pas exactement vous mettre à sa place, vous allez en fait utiliser le langage qu’elle connaît. Inutile d’assommer les gens avec du jargon quand ils ne savent même pas ce que les mots que vous employez veulent dire. Utiliser un langage complexe, abstrait, est le signe d’une expertise. Afin d’enseigner, d’être clair sur ce que vous voulez faire apprendre, vous allez utiliser un langage concret et non abstrait.

Ouvrez un livre de cuisine pour les pros, lisez les instructions. Si vous êtes comme moi, vous ne comprenez pas la moitié des mots. Par contre, ce que nous faisons si nous voulons réaliser la recette, c’est que nous allons chercher une vidéo sur Youtube. Il n’y a rien de plus concret que la vidéo, vous avez le son et les images qui défilent devant vous, vous n’avez alors qu’à copier, ce qui est très agréable pour un débutant. Si vous êtes un pro de la cuisine par contre, voire une vidéo « trop basique » pour vous, risque de créer de l’impatience à cause de la malédiction du savoir. Mais si vous êtes un expert et que vous devez enseigner, expliquez les choses simplement et concrètement.

Comment transmettre alors son savoir sans se braquer?

Tout d’abord, vous devez vérifier que vous n’êtes pas fatigué. Est-ce que vous avez l’impression de vous énerver plus que d’habitude? Est-ce que vous soufflez à chaque mauvaise action? Est-ce que vous avez l’envie irrépressible d’avoir raison? Ces trois symptômes sont des signes de fatigue mentale.

Ensuite, vous allez expliquer les choses comme si vous parliez à votre grand-mère. Votre grand-mère doit pouvoir suivre vos instructions et atteindre le même résultat que vous, comme si elle copiait ce qu’elle voyait sur une vidéo.

En adoptant cette position, vous verrez tout de suite que votre discours a nettement plus d’impact. De plus, pouvoir l’expliquer aussi clairement vous permettra d’améliorer vos propres connaissances et de dépasser vos limites.

Evidemment, cette malédiction de la connaissance ne touche pas que les coachs, mais aussi les joueurs entre eux. Tout le monde veut exposer SA vision des choses et en faire LA vérité. Or ce n’est pas du tout comme cela que ça marche. C’est aussi la raison pour laquelle avoir d’excellents joueurs dans son équipe est une bénédiction quand tout va bien (quand vous gagnez), mais au moindre signe de difficultés, le ton monte très vite et très fort. Souvent vous perdrez vos matchs, car les joueurs qui en savent le plus dans votre équipe ne sont plus assez efficaces mentalement, ils ont craqué.

Petite parenthèse :

Pour beaucoup, être coaché n’a de sens qu’à très haut niveau. Je comprends leur raisonnement, car très souvent les joueurs ne rencontrent que des coachs de très haut niveau qui ne sont même pas au courant de la malédiction du savoir. Ces coachs délivrent alors un discours indigeste pour des joueurs moins expérimentés et c’est là une grave erreur. Etre un expert n’est pas suffisant pour être un bon enseignant.

Défi

A vous de jouer maintenant. Si vous voulez expliquer quelque chose à un équipier ou si vous êtes coach, faites comme si vous parliez à votre grand-mère, soyez concret dans vos explications. Vous avez l’impression que l’idée est ridicule? contre-intuitive? Si ce n’était pas le cas, tout le monde le ferait et je ne serais pas en train d’écrire cet article.

 

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