Pourquoi recruter des joueurs talentueux n’est pas la bonne solution pour progresser dans les jeux vidéo en équipe

de | 9 août 2017

Vous êtes enfin prêt à vous lancer dans les parties classées, les vraies (de vraies) parties classées, avec un groupe fixe et bien soudé. Parce que vous voulez monter plus haut que la dernière fois, votre réflexe est de vous dire qu’il vous faut des joueurs déjà excellents, cela facilitera grandement la tâche. Une fois le groupe au complet, vous vous lancez. Au début, vous grimpez vite dans le classement. Vos efforts payent, vous avez mis un peu plus de temps à trouver ces super-joueurs, mais clairement vous en récoltez les fruits. Jusqu’au moment où… vous ne montez plus du tout. Vous avez le sentiment de déjà atteindre votre limite, et là, il va se passer quelque chose que vous connaissez beaucoup trop bien, vos équipiers commencent à râler sévère de ne pas gagner. Ils commencent à se pointer les uns et les autres du doigt, il n’y a pas assez de soin, pas assez de dégâts, pas assez de stratégie, etc. Vous l’avez compris, si vous ne faites pas quelque chose très rapidement, l’équipe ne progressera pas et tout le monde perdra son temps. Cette situation, je la connais bien pour avoir suivi de nombreuses équipes qui se sont montées exactement de cette façon : regrouper les meilleurs joueurs pour former une meilleure équipe. Laissez-moi vous dire que cette précaution que vous avez prise est en fait une grosse erreur.

Je sais que vous ne le voyez pour l’instant pas comme tel et cela est normal, cela est extrêmement contre-intuitif. Le raisonnement simpliste que nous avons généralement dans ce cas est que pour avoir une bonne équipe, il faut des bons joueurs, ce qui est vrai. Mais pour avoir une excellente équipe, il faut des bons joueurs capables de se remettre en question. Et c’est là le souci. Tout le monde croit savoir ce que se remettre en question veut dire. D’ailleurs pour le mesurer, les joueurs regardent leur classement, s’il monte, c’est qu’ils se remettent en question, sinon… c’est la faute de l’équipe. Plus sérieusement, ici j’aimerais vous mettre en garde contre ces joueurs qui se croient expérimentés, vous en faites d’ailleurs peut-être même partie. Personnellement j’en fais partie et je me bats tous les jours contre le mal que je vais vous décrire dans cet article. En prenant conscience du fait que je vais vous décrire ici, vous vous rendrez compte que vous êtes peut-être déjà tombé dans ce piège, voire que vous tombez dedans tous les jours. Cela vous permettra de comprendre qu’il y a des efforts à faire et que cela vous permettra de vous améliorer.

Etre premier de la classe est loin d’être une partie de plaisir

Plusieurs études ont été réalisées sur les enfants afin de découvrir les meilleures façons de leur faire apprendre de nouvelles choses et surtout dans le but d’éviter l’échec scolaire. Un comportement a été noté à plusieurs reprises dans ces différentes études, les enfants à qui on disait qu’ils étaient remarquables avaient des résultats supérieurs à leur niveau avant qu’on ne leur dise. Mais ce n’est pas ce point-là que je veux vraiment aborder, ce sont plutôt les effets secondaires. L’un des effets secondaires est qu’à force de leur dire qu’ils sont remarquables, ils se sont mis à s’identifier comme tel. Une expérience parmi beaucoup d’autres a révélé que les enfants qui s’identifiaient comme étant excellents avaient appris à avoir honte de l’échec, au point où ils se sont mis à mentir. Dans l’une de ces expériences, un exercice très difficile était proposé. Les enfants devaient faire l’exercice et compter eux-mêmes leur nombre de fautes. Les enfants qui avaient l’habitude d’avoir des résultats moyens ont bien donné le nombre de fautes qu’ils avaient faites. Les enfants « remarquables » mentaient presque systématiquement sur le nombre de fautes qu’ils avaient commises. Ce que je veux vous faire comprendre ici, c’est qu’en s’habituant à être bon, à être vu ou même désigné comme bon, crée un très grand piège qui nous empêche de voir nos échecs, qui nous pousse à cacher nos faiblesses.

Certains joueurs avec qui je partage cette histoire me rétorquent que « ce ne sont que des enfants, les adultes ont appris à gérer les échecs », ce qui est très faux malheureusement. Pour illustrer ma déclaration, je vais vous raconter une seconde histoire, l’histoire d’Enron, une compagnie d’énergie américaine. Cette entreprise s’illustrait par le fait de n’engager que des personnes talentueuses, les premiers de la classe, ceux qui venaient des plus grandes écoles au monde. Leur chiffre d’affaires était à faire envier tous leurs concurrents. En 2000, leur revenue était à 101 milliards de dollars. Un revenu de 140 milliards de dollars pour les trois premiers trimestres de 2001, puis au dernier trimestre 2001, la FAILLITE. Autrement dit quelque chose d’impossible. Comment cela a-t-il pu arriver? Les employés se sont mis à tricher pour cacher le fait qu’ils avaient des faiblesses. En effet, ils étaient tous identifiés comme des personnes hors du commun, qui ne pouvaient pas faillir. Si vous êtes dans une entreprise de ce genre et que vous avez fait une erreur, allez-vous le dire aux personnes autour de vous qui sont parfaites ou allez-vous le cacher? Evidemment vous allez le cacher, et c’est exactement ce qui se passait.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il le cachait très bien. Leurs valeurs morales par exemple étaient : le respect, l’intégrité, la communication, l’excellence. Un véritable écran de fumée pour les clients potentiels. Les employés étaient d’une arrogance sans limites, leur intégrité était inexistante, la communication se résumait à mentir à tout le monde, ne parlons même pas de l’excellence qui mène à la faillite. En bref, à force de s’identifier comme les meilleurs des meilleurs, ils se sont mis à penser qu’ils pourraient relever tous les défis, prendre tous les risques pour maximiser les gains financiers. Le résultat est que cette entreprise est aujourd’hui l’un des plus gros scandales des Etats-Unis et leur histoire est transmise dans toutes les écoles de management. Alors non, ce n’est pas une histoire d’être adulte ou non, c’est une histoire de vision que l’on a sur nous-mêmes et d’accepter nos échecs.

Jeu Vidéo : Warcraft 3. Arthas Menethil, le personnage qui pensait pouvoir tout faire soi-même. Source : http://wowwiki.wikia.com/wiki/Arthas_Menethil

Les joueurs de jeux vidéo « expérimentés » sont d’ailleurs les plus mauvais élèves. Quand ils perdent dans un jeu d’équipe, c’est forcément à cause de leur équipe ou d’un joueur en particulier (tant que ce n’est pas eu). Et c’est là qu’il faut prendre d’énormes précautions quand vous recruterez quelqu’un qui s’identifie comme expérimentés. Il n’y a pas si longtemps j’en ai fait personnellement les frais. Un joueur d’un niveau supérieur a accepter de rejoindre l’équipe et ses performances n’étaient pas exceptionnelles. Par contre, ce que j’ai très vite remarqué, c’est qu’il était le premier à dire aux autres ce qu’ils ont fait de mal quand la situation était tendue. Quand quelqu’un lui faisait une remarque, il répondait avec une réponse du type « je ne vois vraiment pas de quoi tu parles, pour moi tout va bien ». Ce comportement a d’énormes conséquences sur l’équipe, parce que LUI ne prenait pas sa part de responsabilité, tout le monde (moi y compris) a commencé à faire la même chose. Finalement ce n’était de la faute de personne, parfois on perd, parfois on gagne. Autrement dit, on ne faisait plus aucune analyse de la partie et il était donc impossible de progresser. Par contre, s’il y avait bien une chose qui progressait, c’était la frustration. Chaque partie était accompagnée d’une tension extrême, qui allait porter le chapeau pour la prochaine défaite?

Une méthode efficace pour ne pas tomber dans ce piège et continuer d’analyser ses actions (bonnes comme mauvaises)

Si vous voulez monter un groupe et que vous voulez quand même recruter des joueurs exceptionnels (ou qui se pensent exceptionnels), vous devez vous assurer que leur réflexe de rejeter la faute sur les autres soit détruit ou qu’il soit au moins inutilisable pendant vos parties classées. Si vous avez ne serait-ce qu’un seul joueur de ce type et que vous le laissez s’exprimer librement, il ne fera que vous couler au lieu de vous faire progresser.

Pour réfréner ses ardeurs, pas d’autres choix possibles que de lui montrer les limites de ses connaissances. Ce genre de joueur a tendance à faire des réflexions à chaud qui n’apportent absolument rien. Des réflexions du genre « Il faut attaquer en supériorité numérique! » (la réflexion du siècle). Pour chaque réflexion bidon de ce genre, demandez-lui tout simplement « et tu proposes que l’on fasse ça comment? » ce à quoi il enchaînera avec une réponse encore plus débile du type « bah s’ils sont deux, il faut que l’on soit trois. S’ils sont trois, il faut que l’on soit quatre. Parce que deux c’est plus petit que trois et que trois, c’est plus petit que quatre » (oui, cela est une histoire vraie, c’est même à moi que cela est arrivé). Et là vous répéterez : « oui, j’ai compris, je sais compter, alors on fait comment concrètement? ». Et là, généralement tout le monde se met à entendre le vent souffler. Maintenant que le joueur en question a compris le message, vous pouvez commencer votre analyse. Si le joueur « professionnel » l’ouvre encore pour dire une bêtise, demandez-lui tout simplement comment il compte mettre son idée en place encore une fois.

A partir de ce moment, vous vous rendrez vite compte de la performance que ce joueur peut vous donner, à vous de choisir s’il est un atout, ou un poids mort. S’il n’apporte rien pendant les analyses, il ne vous fera pas progresser. Si le but de votre équipe est de vous dépasser, vous saurez tout de suite que sa présence est incompatible avec votre but et vous n’aurez d’autre choix que de vous séparer et vous souhaitez bonne chance.

Défi

A vous de jouer. Si vous avez un joueur de ce type dans votre équipe, faites très attention à ce qu’il n’instaure pas un climat qui pousse tout le monde à être sur la défensive. Si c’est le cas, personne n’osera dire qu’il a fauté et vous ne pourrez rien faire de constructifs. Si vous êtes ce joueur « exceptionnel », réalisez que votre performance est loin d’être exceptionnelle et débarrassez-vous de ce réflexe qui vous empêche de progresser.

 

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