Déléguer des tâches, même dans les jeux vidéo

de | 5 février 2017

Dans l’article précédent, j’ai parlé de la première difficulté qui est de pousser vos équipiers à exécuter des actes coopératifs simples dans les jeux vidéo : partager une trousse de soin, faire un échange, demandez un service. Mais on retrouve aussi cette difficulté dans la vie réelle : appeler les secours, aider quelqu’un, etc… Cette difficulté est liée au fait que plus le nombre d’équipiers ou de personnes présentes est important et moins vous aurez des chances de pousser quelqu’un à agir. Dans cet article, je vais passer à l’étape suivante, vous avez suivi les conseils pour que les personnes se sentent concernées, maintenant vous avez un second problème, ces personnes ne font pas ce que vous voulez correctement.

Photographe : Gary Dawson

Déléguer une tâche

Au travail :

En effet, le concept ici est de déléguer une tâche à un équipier ou à un collègue pour commencer à travailler ensemble et décupler votre potentiel. Quand on pense au fait de déléguer, on pense très souvent en premier au travail en entreprise. Savoir déléguer peut être extrêmement difficile, surtout si la tâche en question est complexe. Cela s’explique principalement par quatre raisons :

  1. La personne qui délègue la tâche ne donne pas une description détaillée des résultats attendus, nous verrons ici les éléments importants à transmettre.
  2. La personne à qui la tâche a été déléguée n’a pas la vision nécessaire pour prendre des initiatives, nous verrons ici le concept de l’intention du commandant.
  3. La personne qui délègue, décrit extrêmement mal ce que le délégué doit faire sans s’en rendre compte, nous verrons ici le concept de la malédiction du savoir.
  4. Lorsque nous expliquons quelque chose à quelqu’un, nous lui expliquons de manière abstraite plutôt que de manière concrète (voir ce concept déjà évoqué dans l’article apprendre grâce aux jeux vidéo).

Dans les jeux vidéo :

Nous retrouverons exactement les mêmes difficultés dans les jeux vidéo, à un détail près, la personne à qui vous allez déléguer la tâche, ne le prend pas vraiment sérieusement. En effet, au travail, vous avez un avantage, vous êtes au travail, vous êtes donc en mode sérieux, professionnel. Dans un jeu vidéo, vous pouvez être en mode sérieux, en mode passe-temps, en mode pilote automatique ou même en mode cause toujours. Le fait de créer un environnement propice à la coopération fera passer naturellement vos équipiers en mode sérieux (en mode construisons quelque chose ensemble). Ce blogue s’adressant aux personnes qui ont entre autres pour centres d’intérêt : les jeux vidéo, je vais vous présenter mon approche pour apprendre à déléguer dans les jeux vidéo, pour que vous puissiez acquérir de l’expérience afin de le faire aussi au travail quand l’occasion se présentera.

Des résultats précis, un calendrier réaliste

Plus les résultats à atteindre seront précis, plus ils seront concrets, car c’est là le secret. Si la personne a un objectif concret, elle saura poser des étapes intermédiaires pour atteindre l’objectif et l’atteindre comme vous le souhaitez. En effet, dire quelque chose comme : « Il faut que tu nous ramènes plus de clients! » est aussi inutile que « Il faut augmenter nos bénéfices! », « Il n’y a qu’à faire ça », « Faut qu’on fasse ça! ». Cela me rappelle une partie d’airsoft que j’ai faite : mon équipe enchaînait les défaites toute la matinée. L’après-midi, alors que nous allions refaire une partie, un de mes équipiers a eu le meilleur discours, qui nous a revitalisé et qui nous a permis de nous améliorer tout de suite : « Les gars, on n’arrête pas de perdre, il faut mieux jouer! ». Le discours le plus INUTILE que j’ai pu entendre et cela m’a marqué à vie (le passage précédent est ironique).

La deuxième partie qui est obligatoire pour les tâches longues et complexes, s’imposer un calendrier réaliste. Imaginez que vous décidiez de courir un marathon alors que vous n’avez pas assez d’entraînement. Est-ce que vos chances d’y arriver sont plus élevées si vous vous dites : « Je veux courir un marathon la semaine prochaine » ou « Dans les 2 ans qui arrivent, je veux courir un marathon »? Vous l’aurez compris, il faut prendre en compte vos propres capacités, j’en sais quelque chose, je l’ai appris à mes dépens pendant ma thèse. Avoir un calendrier trop optimiste vous découragera rapidement.

L’inverse est aussi vrai, se laisser un an pour réaliser un objectif qui prend normalement une semaine vous découragera tout autant, c’est la Loi de Parkinson. Se dire « Je vais courir un marathon dans les 10 ans qui arrivent » vous donnera autant de chances de le faire que « Je vais courir un marathon la semaine prochaine ». En effet vous pouvez être sûr que vous ne ferez absolument rien pendant au moins 8 ans, et peut-être que vous ne vous lancerez même pas dans votre projet.

En clair fixez-vous des objectifs avec des résultats à atteindre le plus précisément possible et imposez-vous un calendrier réaliste.

L’intention du commandant :

Quelle que soit la tâche que vous allez déléguer, il arrivera à un moment ou à un autre où la personne devra prendre une initiative. Vous avez alors deux choix lorsque vous allez déléguer la tâche : donner à la personne la tâche en question et une combinaison presque infinie de situations qu’il va rencontrer avec les solutions correspondantes, c’est-à-dire une solution impossible et trop coûteuse. Ou transmettre (en plus de ce qui est décrit dans la partie précédente) l’intention du commandant. Ce concept vient des militaires. Elle prend la forme d’une déclaration très abstraite au plus haut de la hiérarchie et cette intention sert de ligne directrice pour les niveaux inférieurs de la hiérarchie. Les responsables aux niveaux inférieurs pourront alors construire des objectifs beaucoup plus concrets et sauront que leur plan est compatible avec le plan à grande échelle. L’intention du commandant ne peut pas se permettre d’avoir des détails car cela rendrait le message obsolète si des imprévus surviennent, c’est pour cela qu’elle doit être connue de tous mais aussi rester abstraite. Ce concept permet (dans l’armée) un alignement des actions menées par les soldats sans être obligé de faire des têtes-à-têtes en permanence, entre le haut commandement et les troupes sur le terrain pour recadrer les missions.

Dans votre jeu vidéo cela peut ressembler à « Il faut prendre contrôle de la ville, pour cela nous allons attaquer la tour centrale et la tenir coûte que coûte ». Les soldats à l’intérieur de la tour savent qu’ils doivent tenir la tour, donc cela veut dire :

  1. Garder les entrées
  2. Garder les escaliers
  3. Observer par les fenêtres et signaler les positions ennemis etc…

Les soldats à l’extérieur eux, savent qu’ils doivent garder les alentours de la tour et que c’est le lieu de rassemblement de leurs équipiers, ils auront donc du soutien près de la tour.

Quand les gens connaissent la finalité (le plan à grande échelle), ils sauront quoi faire à leur propre niveau, pour permettre l’atteinte de cet objectif. Cela permet à tout le monde de générer leurs propres solutions et de s’assurer que ces solutions sont compatibles avec le plan.

La malédiction du savoir :

Ce concept, nous le connaissons tous, laissez-moi vous le décrire. Quand vous possédez une connaissance (quelle qu’elle soit), il vous est ensuite impossible d’imaginer ne pas l’avoir. Alors quand quelqu’un va vous demander de vous expliquer cette connaissance, vous devrez faire un effort énorme pour vous montrer pédagogique et expliquer à cette personne cette connaissance sans utiliser des concepts qui découlent de celle-ci. Par exemple : expliquer les fractions à quelqu’un qui n’a pas encore vu la division (bonne chance). Les personnes qui arrivent à transmettre leurs savoirs à d’autres qui en savent beaucoup moins qu’eux sont pédagogiques et c’est une véritable compétence. On pourrait croire que les gens dont le métier est de transmettre des savoirs sont tous pédagogiques, mais malheureusement, à travers mon expérience scolaire (et vous sûrement à travers la vôtre), je peux vous assurer que c’est loin d’être le cas. Certains d’entre eux ne peuvent même pas concevoir que vous ne les comprenez pas.

Donc, ayez conscience de ce concept quand vous expliquez à une autre personne ce que vous attendez d’elle, que ce soit dans la vie personnelle, professionnelle ou dans vos jeux vidéo.

Par exemple, quand je demande à un équipier de couvrir une entrée, j’attends de lui qu’il observe en permanence cette entrée et tire sur les ennemis qui arrivent par cette entrée. Ce que j’observe la plupart du temps est que la personne observe l’entrée pendant une dizaine de secondes, si aucun ennemi n’arrive, il s’en va, me laissant à la merci des ennemis en approche. C’est pourquoi quand je demande à quelqu’un de me couvrir, je lui dis quelque chose comme : « Salut, tu peux couvrir cette entrée s’il te plaît? on va essayer de tenir la tour le plus longtemps possible et je sais qu’ils arrivent par là. Moi je serai à côté, je vais garder l’autre entrée ». Cette simple instruction est suffisamment détaillée, il va garder une seule entrée. Mon intention est de garder la position le plus longtemps possible. Je me placerai à côté de lui pour lui montrer ce que veut dire le concept de couvrir et pour lui donner un exemple concret de ce qu’il doit faire.

Conclusion :

Alors pour que vos équipiers fassent bien le travail que vous attendez d’eux, vous devez :

  1. Donner des instructions précises et dont les résultats doivent être clairement énoncés dans un laps de temps défini
  2. Transmettre l’intention du commandant
  3. Prendre en compte la malédiction du savoir avant d’utiliser des concepts
  4. Etre le plus concret possible sur ce que vous attendez de la personne

Je vous propose un défi, définir un concept que vous utilisez souvent dans votre jeu vidéo préféré ou activité préférée en étant le plus concret possible.

Pour moi, c’est le concept de tir de suppression. Cette technique de combat consiste à tirer en permanence sur la position ennemie pour qu’ils baissent la tête, les empêchant d’agir à leur guise. Comparer cette définition concrète :

  • Tirer sur la position ennemi
  • en permanence
  • Baisser la tête
  • Empêcher d’agir

A la définition que l’on trouve sur wikipédia par exemple : « Le tir de suppression ou tir de couverture est, en tactique militaire, une action de tirs intenses cherchant moins à atteindre l’ennemi qu’à l’obliger à se protéger, et ainsi limiter sa propre capacité de tirs ; profitant de cette neutralisation temporaire du feu ennemi, une autre unité alliée peut par exemple procéder à un mouvement en terrain découvert », qui est une définition contenant beaucoup de concepts abstraits :

  • tactique
  • tirs intense (intense c’est quoi? souvenez vous du livre de cuisine, mélanger jusqu’à obtenir une composition onctueuse)
  • se protéger, est-ce que retourner le feu ne compte pas comme se protéger?
  • capacité de tirs
  • neutralisation
  • temporaire (combien de temps?)
  • mouvement
  • terrain découvert

Evidemment la définition de Wikipédia est beaucoup plus complète, mais c’est justement ce que vous voulez éviter quand vous êtes dans le feu de l’action, que vous attendez de votre équipier quelque chose d’extrêmement précis et enfin que vous voulez qu’il comprenne ce que vous attendez de lui.

 

 

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